Dans La Syrie aujourd’hui, série d’articles parus dans Le Tour du monde entre le premier semestre 1880 et le deuxième semestre 1882, Louis Lortet (1835-1909) nous donne cette description des Métoualis, les chiites duodécimains du Mont Liban. Je vous préviens, le vocabulaire employé pour caractériser la “race des Métoualis” peut incommoder aujourd’hui, par nos temps de politiquement correct…
Nous arrivons au khan el-Fasimiyè, à peu près en ruine, établi dans le voisinage d’une ancienne forteresse nommée Bordj el-Haoua, sur les bords du fleuve Litâni, l’ancien Leontès, appelé aujourd’hui Nahr el-Kasimiyè dans la partie inférieure de son cours. Le fleuve, plein d’une eau bourbeuse et jaunâtre, est évidemment gonflé par la fonte des neiges; mais, même en temps ordinaire, c’est la rivière la plus importante de toute la Syrie, sans en excepter le Jourdain. Le Litâni prend sa source dans le versant est du Liban, à en une petite distance au nord de Baalbek. Il arrose la grande plaine de la Bekâa, l’ancienne Cœlésyrie, et y reçoit un certain nombre d’affluents. Dans cette partie de son cours sa direction est nord-sud ; mais arrivé à Kalat es-Sellioulif, le Belfort des croisés, il change brusquement de route, coule directement à l’ouest, pour venir se précipiter dans la Méditerranée sous le nom de Nahr el-Kasimiyè, après avoir parcouru une vallée profondément encaissée, produite par une énorme faille qui a brisé transversalement la grande chaine longitudinale du Liban. Le nom de Kasimiyè veut dire partage, frontière. Le fleuve sert de séparation à deux populations bien différentes au point de vue moral, religieux et anthropologique.
Jusque-là, en effet, nous avons voyagé au milieu des paisibles et aimables populations du Lihan, car les Druses, nonobstant leur mauvaise réputation, sont des hommes d’un commerce aussi agréable que les Maronites. Mais à partir du Leontès, les uns comme les autres disparaissent à peu près entièrement pour
faire place aux Métoualis.La race des Métoualis, ou Metàoulleli et Mutaouàly au singulier, est peu civilisée et brutale ; elle méprise profondément les étrangers, et surtout les chrétiens. Les Métoualis professent l’islamisme, niais suivent la secte d’Ali ce sont donc des schiites comme les Persans. Jamais ils ne prennent leurs repas avec des hommes d’une autre religion, et ils brisent toujours avec soin le vase dans lequel a bu un étranger. Ils sont aussi obligés de se purifier pendant plusieurs jours, pour effacer la souillure qu’ils ont commise touchant un infidèle, ne fût-ce qu’avec le pan de leur robe. On reconnait là les pratiques de l’ancien judaïsme. Cette peuplade habite surtout le district de Besschârrah, la vallée du Leontès et la plaine de la Bekàa. Ils vivent presque indépendants, reconnaissant à peine le pouvoir des pachas, et gouvernés par des cheiks choisis dans leurs principales familles qui constituent une véritable aristocratie. Les Métoualis sont aujourd’hui au nombre de cinquante ou soixante mille, et peuvent, assurent leurs chefs, mettre près de vingt mille hommes sous les armes. Ils vénèrent Ali et Hosein comme saints et martyrs; ils commencent leurs ablutions par le coude, et non par le bout des doigts comme les autres musulmans. La haine religieuse est si intense chez ces Orientaux, que, dans ces vallées, les habitants de croyances différentes ne se fréquentent pas, ne se connaissent même pas, quoique souvent les villages ne soient éloignés les uns des autres que de quelques kilomètres.
Au point de vue anthropologique, les Métoualis sont bien différents des Druses et des Maronites la charpente osseuse est plus forte et plus grossière ; la taille plus élevée, les épaules plus larges ; les pommettes saillantes et la largeur de la mâchoire inférieure rapprochent cette race des Mongols ; mais la forme des yeux, le nez court et bien fait les ramènent au type persan. La couleur de la peau est d’un bistre assez foncé, bien plus accentué que chez les autres populations de la Phénicie, dont la teinte est souvent aussi pâle que celle des Français du sud. Le costume des Métoualis est à peu près le même que celui des autres Libanais ; seulement leur tête, toujours soigneusement rasée, est protégée par un turban assez volumineux. C’est la seule race de la Syrie qui ait conservé cette ancienne coiffure des Turcomans.
M. Renan pense que les Métoualis sont des hommes de race iranienne, peut-être des Kurdes transportés en Syrie à l’époque de Saladin.
Lire aussi
L. de Baidicourt. La France en Syrie. Paris : E. Dentu et Challamel aîné, 1860, p. 7-9.
Édouard-Auguste Spoll. “Souvenirs d’un voyage au Liban”, Le Tour du monde, 1861, p. 7.
Alphonse de Lamartine. “Les Métualis”, in Voyage en Orient, Œuvres complètes, tome 7, 1861, p. 115-117.
Ernest Chantre, “Observations anthropologiques sur les Métoualis”, Publications de la Société Linnéenne de Lyon, vol. 14, no 1, 1895, p. 58–61.
Henri Lammens. Les “Perses” du Liban et l’origine des Métoualis. [Beyrouth], 1929. Mélanges de l’Université Saint-Joseph, Beyrouth, Liban, tome XIV fasc. 2. Disponible également sur Persée.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean Stouff (7 octobre 2024). Connaissez-vous les Métoualis ? Biblioweb. Consulté le 10 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12fhq