Continuant mon exploration du sionisme et de ses environs, je voudrais m’intéresser ici à celui qui est considéré comme son principal représentant, Théodor Herzl. Comme souvent dans ce carnet, il s’agit ici de rassembler de la documentation, d’indiquer des références en ligne ou pas. Cependant, j’ai souhaité aussi présenter quelques idées reçues sur le supposé fondateur du sionisme.
Idées reçues sur Théodor Herzl
Herzl est le fondateur du sionisme
Non, Theodor Herzl n’a pas inventé le sionisme, même s’il en fut pendant les huit dernières années de sa vie le principal représentant, à partir de la publication de Der Judenstaat en 1896 et de la création de l’Organisation sioniste fondée le 3 septembre 1897 à la suite du Premier congrès sioniste qu’il a organisé avec Max Nordau.
Cependant un mouvement fondé en Russie en Russie défend depuis déjà une quinzaine d’années le renouveau du peuple d’Israël par le retour vers Sion. Il s’agit des Amants de Sion fondés par le médecin d’Odessa Léon Pinsker, auteur de la brochure Autoémancipation ! Avertissement d’un Juif russe à ses frères publiée à Berlin en 1882, dans laquelle il développe certains thèmes majeurs du sionisme naissant, dont la création d’un État indépendant, mais pas forcément en Palestine. Ignorée par les Juifs occidentaux, elle très bien accueilli à l’est, où elle est traduite en hébreu et yiddish. Si Léon Pinsker, décédé en 1891, n’est pas présent au Premier congrès sioniste, plusieurs de ses représentants y participent.comme Moïse-Leib Lilienblum, Menahem Ussishkin, ou Ahad Ha’Am
Nathan Birnbaum, membre du mouvement Kadimah, y participe aussi. Il est réputé pour être à l’origine du mot sionisme adotpé par la nouvelle organisation. Il est également le créateur en 1885 du premier journal sioniste, Autoémancipation – oui, comme l’ouvrage de Pinsker – encourageant l’adhésion à l’idéal sioniste et l’installation en Terre d’Israël. D’autres projets similaires avaient précédemment déjà été évoqués à titre individuel, dont deux ouvrages publiés tous deux en 1862, mais reflétant deux conceptions divergentes : Kalisher, Drishat Zion (La quête de Sion) du rabbin Tzvi Hirsh et Rome et Jérusalem : la dernière question nationale de Moses Hess, un penseur proche de Marx.
Alors, vraiment, non Theodor Herzl n’est pas le seul et unique fondateur du sionisme, même si son influence fut primordiale dans la naissance de l’Organisation sioniste et du sionisme politique. Car les sionismes ou pré-sionismes que j’ai évoqué ci-dessus sont eux soit de nature pratique avec des Amants de Sion comme Moïse Lilienblum et Léon Pinsker ou culturelle voire spirituelle avec un autre Amant de Sion, Ahad_Ha’Am.
Un foyer juif en Palestine est pour lui la seule possibilité acceptable
Non, pour Theodor Herzl, la création d’un foyer juif en Palestine n’est pas la seule option possible. Certes elle aurait sa préférence, mais c’est compté sans les réticences des Ottomans. En février 1902, il relate ainsi ses dernières tentatives : « Le Sultan veut bien ouvrir son empire aux Juifs qui accepteraient la nationalité turque… mais la Palestine en sera exclue. La Compagnie Judéo-ottomane pourra coloniser en Mésopotamie, en Syrie, en Anatolie, partout, sauf en Palestine ! Une Charte sans la Palestine ! J’ai refusé sur le champ ».
Il lui faut désormais envisager d’autres possibilités et traiter avec l’Empire britannique qui lui propose successivement Chypre, le Sinaï et l’Ouganda. Ce dernier projet est d’ailleurs présenté par Herzl lui-même au VIe Congrès sioniste en1903 où il entraîne la division entre ceux qui ne peuvent envisager d’autre solution que la Palestine et les territorialistes qui se satisferaient de n’importe pays pour accueillir un foyer juif, car il y a urgence : les pogroms se multiplient en Russie…
La scission devient irréversible en 1905 quand le projet Ouganda est définitivement enterré et que le VIIe Congrès sioniste convient du fait que l’implantation ne peut se réaliser qu’en Terre d’Israël. Theodor Herzl est mort l’année précédente. Sans cette mort prématurée, il aurait très bien pu se rapprocher des territorialistes. Alors, qui sait, le sionisme politique aurait suivi une autre voie et l’actualité internationale actuelle ne serait pas la même. Beau sujet d’uchronie, non ?
Théodor Herzl a combattu l’antisémitisme
Théodor Herzl est censé avoir voulu mettre les populations juives à l’abri de l’antisémitisme. Tel est le but de la création d’un État des juifs (Judenstaat) exposé dans son livre-programme. Cela est vrai, et pourtant, outre le fait qu’il lui a bien fallu traiter avec des antisémites pour faire avancer son projet sioniste, ce juif assimilé qui pendant sa jeunesse adhère pleinement au nationalisme allemand n’est pas exempt d’un certain antisémitisme, celui des juifs occidentaux vis à vis des shtetls. En 1897, il écrit ainsi un article intitulé “Mauschel” qui, selon Amos Elon, un de ses biographes, se lit comme un morceau de propagande antisémite fait pour inspirer l’horreur. Je vous renvoie sur la question à l’article ci-dessous.
- Ritchie Robertson. “Theodor Herzl et l’antisémitisme”, Austriaca : Cahiers universitaires d’information sur l’Autrichen, n° 57, 2003, p. 61-71. Fait partie d’un numéro thématique : Antijudaïsme et antisémitisme en Autriche du XVIIe au XXe siècle.
Je voudrais à ce propos raconter une anecdote. Mon père avait un ami israélo-canadien, professeur d’histoire médiévale à Toronto. Ce dernier avait souhaité avec quelques autres personnes monter la pièce de Herzl, Le Nouveau ghetto. Que croyez-vous qu’il advint ? Le grand rabbin de la communauté juive s’y opposa, car il s’agissait selon lui d’un texte antisémite. Cela nous a fait beaucoup rire, mon père et moi, quand cette histoire nous a été racontée. Le fondateur du sionisme accusé d’antisémitisme ! Il fallait vraiment que ce rabbin soit un ignare ! Pourtant, en y réfléchissant aujourd’hui, je me dis qu’il avait sans doute raison et que les ignares, c’était nous, car que savions-nous finalement de Herzl et de son œuvre ?
Biographies
Livres
Les deux premières biographies :
Baruch Hagani. Le Sionisme politique et son fondateur Théodore Herzl 1860-1904. Payot, 1917.
Adolf Friedemann. Das Leben Theodor Herzls. Jüdischer Verlag, 1914, 2e éd. 1919
Les biographies signalées dans le SUDOC
Vidéos
Écouter une brève conférence du même auteur.
….
chaine Youtube consacrée au judaïsme, à l’histoire juive et à la “géographie” juive.
lors du colloque “Le pouvoir des intellectuels”, Académie royale de Bruxelles
Publications de Herzl
1894/1898 – Das neue Ghetto, une pièce de théâtre
Pièce écrite en 1894 et jouée pour la première fois en 1898, elle prépare et encadre la conversion de Herzl au sionisme.
Das neue ghetto : Schauspiel in 4 Acten. Wien, 1903. Autre lien
Le Nouveau Ghetto, traduction de Yehuda Moraly et Michèle Fingher, Association pour la diffusion de la culture juive, 2019. Présentations : Fondation Shoah | Radio Séfarade.
1896 – Der Judenstaat, un essai politique
Der Judenstaat : Versuch einer modernen Lösung der Judenfrage. Leipzig, M. Breitenstein, 1896. Autres éditions.
‘”L’État juif. Essai d’une solution de la question juive”, traduction par Herzl lui-même pour la première édition paru dans la Nouvelle revue internationale, décembre 1896, p. 842-860, et janvier 1897, p. 19-40.
L’État juif. Essai d’une solution de la question juive, introduction de Baruch Hagani. Paris, Lipschutz, 1926. Autre version en ligne.
Éditions localisées dans le SUDOC
1897 – Mauschel, un article antisémite ?
“Mauschel”, Die Welt, 15 octobre 1897.
Stuart Schoffmann. “Anti-Semitism and Jewish Money. A Diatribe from the Father of Zionism”, Havruta, 2010, Issue 4.
1900 – Altneuland, un roman utopique de politique-fiction
Altneuland. Berlin – Wien, Benjamin Harz Vlg, s.d. Autre lien.
Terre ancienne. Terre nouvelle… (Altneuland), trad. de l’allemand par L. Delau et J. Thursz. Paris, PUF, 1931,
Altneuland Nouveau pays ancien , traduction de L. Delau et J. Thursz, précédé de : Denis Charbit, Retour à Altneuland : la traversée des utopies sionistes, Paris, Éditions de l’Éclat, 2004. Aperçu.
Éditions localisées dans le SUDOC.
Till R. Kuhnle. “L’émulation du monde ancien : Altneuland de Theodor Herzl”, Germanica, n° 31, 2002, p. 143-157.
Conclusion poétique :
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean Stouff (28 septembre 2025). Théodor Herzl : idées reçues et biblio-webographie. Biblioweb. Consulté le 12 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14rma